Une légende raconte qu'un jour, dans les années
1960, des flocons de neige ont rendu visite au Timor oriental. Une autre
version, plus probable, évoque une simple enveloppe de givre : les
seules traces, jusqu'ici, d'un imaginaire hivernal pour cette île au
climat tropical, à 600 km au nord de l'Australie. Et puis il a fallu
qu'un enfant formule un rêve olympique et fasse parler ses racines.
Yohan Goutt Goncalves avait 8 ans quand il s'est imaginé représenter,
skis aux pieds, la terre de sa mère. Il en a aujourd'hui 19 et sait,
depuis le week-end dernier et un slalom en Serbie, qu'il sera du voyage à
Sotchi (7-23 février) dans la discipline. Unique représentant, et donc
porte-drapeau, d'un pays de 1,2 million d'habitants qui n'a jamais goûté
aux JO d'hiver.
Champion de France citadin junior
Ce
Parisien de naissance, étudiant en administration et échanges
internationaux, aimait l'idée du précurseur. Mais aussi celle du
messager. "Pour montrer que le Timor existe, se reconstruit, alors même
que la plupart de mes amis ne savent pas le situer sur une carte." Lui
s'y rend une fois l'an pour voir une partie de sa famille. Avec un
crochet par l'Australie, où d'autres proches ont fui la sanglante
occupation indonésienne (1975-1999, près de 200.000 morts). En
septembre, il a même été reçu en seigneur des anneaux par Taur Matan
Ruak, le chef de cet État considéré comme le plus pauvre d'Asie. "Il m'a
dit qu'il était heureux de voir que je n'avais pas oublié d'où je
venais. Heureux que je représente un pays qui a souffert." Toutes les
histoires racontées à son enfant par Carolina, qui avait dû quitter
l'île à 11 ans "alors qu'il y avait des grenades un peu partout", ont
trouvé une oreille encore plus attentive que prévu.
Le
ski aussi est une histoire qui vient de loin. Même si les montagnes, à
sa fenêtre de petit Francilien, n'étaient que de béton, Yohan a toujours
raisonné spatules. Jusqu'à être sacré champion de France citadin
junior, sous les couleurs du Racing. Trop court pour un destin
international en Bleu, plus ou moins réservé aux enfants des Alpes. D'où
une idée un peu folle : créer la fédération de ski du Timor oriental.
La famille et les amis s'y collent, sur place mais aussi en France, où
une association parallèle voit le jour. Cinq ans de démarches avant la
reconnaissance par le Comité olympique, puis l'affiliation à la
Fédération internationale, en juin dernier. Seulement deux athlètes
licenciés : lui et son petit frère Alexi, 15 ans.
"Ne pas ressembler à une blague"
En
Iran ces jours-ci pour d'autres courses FIS (le 3e niveau
international), Yohan Goutt Goncalves compte y grappiller les points
nécessaires pour doubler le plaisir à Sotchi, avec le géant. Il fait
toute sa saison avec quatre paires de skis, deux pour le slalom, deux
pour le géant. La finance avec quelques dons et cotisations, et
mutualise les frais au sein d'une équipe à la géographie improbable : on
y trouve des skieurs venus de Belgique, d'Israël, d'Irlande, de
Roumanie. Les deux coaches sont grec et macédonien. Et tout ce beau
monde roule pour les Jeux en partageant un van.
Le
voyage olympique sera plus confortable. La Fédération française a
réservé une place à Yohan dans l'avion de sa délégation. En Russie, il
sera surtout au plus près de sa mère, nommée chef de mission du Timor
oriental. Et son frère défilera avec lui lors de la cérémonie de
clôture. Le but est aussi de ne "pas ressembler à une blague", à l'image
de ce nageur de Guinée équatoriale qui avait fini son 100 m en 1'52”
aux JO de Sydney. Sa place parmi les 2.000 meilleurs skieurs du monde,
selon le classement olympique, est en soi un paravent au ridicule. Au
pays, on verra ça d'un œil curieux, presque interloqué. "Les médias
timorais me suivent, mais ils ont du mal à expliquer aux gens ce que je
fais. En tétoum, la langue officielle avec le portugais, le mot ski
n'existe même pas."
Damien Burnier - Le Journal du Dimanche