Père Joao Inocêncio Piedade, le premier Timorais jésuite

Le Père jésuite timorais Joao Inocencio Piedade était à Paris tout début mai, à l'invitation de la Sorbonne, pour participer à un séminaire philosophique franco-allemand.

C'était une opportunité pour enregistrer des interviews pour deux radios : Aligre FM, parisienne et ALFA, nationale.

João Inocêncio interviewé par Artur Silva, en français, diffusé par Radio Alfa

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Ne pouvant participer à la session de commémoration de la restaurations de l'indépendance, le 19 mai dernier, il nous a fait parvenir un message qui a été lu au cours de la cérémonie et que nous laissons ici dans son intégralité pour tous ceux qui n'ont pu y être. Il y est question de ses études, de ses rapports intenses avec la France et aussi de sa récente mission : la création d'un Département de Philosophie à l'Université Nationale de Timor Leste.

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Mes souvenirs me conduisent à ces années lointaines au Collège des Jésuites à Dare au début des années 70. C’était mon premier contact avec la langue française à l’âge de 11 ans. Je venais de commencer ma première année du cours de français avec le Père Bernard Gouin, jésuite français et ancien officier de l’armée, expulsé de la Chine à la suite de la révolution culturelle. Très tôt  se manifeste en moi un grand intérêt et goût pour le français. Dès le premier examen, les résultats étaient excellents, mesurés aux progrès vite faits en grammaire, lecture de textes e conversation.
 
 Le cours se poursuivait pendant quatre autres années jusqu’à l’invasion indonésienne. En passant par des épreuves diverses que la situation de l’occupation nous avait imposé, j’ai pu me frayer un chemin qui puis m’a conduit à la Compagnie de Jésus, inspiré certes par mes formateurs, les pères jésuites portugais du Collège et plus particulièrement par le Père Bernard Gouin. Quand j’ai eu la nouvelle de sa mort lorsque nous, étudiants du collège, étions en pèlerinage a Soibada, j’ai eu la sensation de me sentir confirmé dans la vocation pour la Compagnie de Jésus. Comme si le Père Gouin me disait : « Vai João e entra na Companhia de Jésus ! (Vas-y João et rentres dans la Compagnie de Jésus !) ». 
  
   Je suis rentré dans la Compagnie en 1977 en Indonésie. Une première étape de ma formation en Indonésie et ensuite en France. En effet le Père Provincial des jésuites indonésiens de l’époque m’a envoyé en France dans le cadre de la préparation d’une maîtrise en philosophie en vue d’une future destination comme professeur de philosophie à Jakarta. Deux années d’études au Centre Sèvres à Paris, à la Faculté de Philosophie des jésuites de la Province de France. Grâce à la bonne préparation en français au collège des jésuites à Dare avec le Père Bernard Gouin, j’ai été dispensé du cours de langue française à Paris, pouvant ainsi entamer tout de suite mes études de philosophie.
  
   Pendant ce premier séjour parisien j’ai tissé des liens d’amitié avec les français et les portugais en France qui travaillaient pour la cause de Timor. Des moment de joie et d’encouragement ont scandé mon séjour. J’ai constaté et recevais des gestes de solidarité de mes amis français et portugais à l’égard du peuple de Timor dans les moments plus douloureux de son histoire. Une fois achevée la maîtrise, j’ai été chargé comme professeur de philosophie à la Faculté de Philosophie des Jésuites indonésiens à Jakarta pendant deux ans.  Mes liens d’amitié avec la France ont été repris à Jakarta pendant cette période d’enseignement. J’ai été sollicité par le Centre Culturel Français de Jakarta pour donner des cours de français à deux classes de niveau avancé. De nouvelles amitiés se sont nouées avec des familles françaises à Jakarta et à Yogyakarta. Je sentais que le lien avec la France se vivait dans l’esprit de finesse au niveau culturel, personnel et intellectuel. En philosophie j’ai introduit la pensée de Michel Foucault et Paul Ricœur.

   Après les études de théologie  et l’ordination sacerdotale, mes supérieurs jésuites m’ont envoyé de nouveau en France pour une mission d’études. Cette fois-ci pour la préparation d’un doctorat à la Sorbonne (Université Paris I) en vue de l’enseignement à l’Université Pontificale Grégorienne à Rome. L’année de D.E.A. (Diplôme d’Etudes Approfondies) a rendu possible ma découverte du sujet de thèse et de la piste à suivre. Frappé par les philosophes français contemporains comme Paul Ricœur, Emanuel Levinas, Jacques Derrida, Maurice Merleau-Ponty, je me suis intéressée à la phénoménologie dans le sens rigoureux du terme. Je voyais la nécessité de remonter aux sources de la pensée phénoménologique elle-même e ses instances fondatrices : Edmund Husserl et Martin Heidegger, deux grands philosophes allemands du XXème Siècle dont la pensée était reprise largement en France. Sous la direction de mes professeurs à la Sorbonne, en particulier Madame Françoise Dastur et Monsieur Jacques Colette et avec l’encouragement de mes confrères jésuites philosophes, les Pères François Marty, Paul Corset et Pierre-Jean Labarrière,  j’ai pu envisager un projet de collaboration avec l’Allemagne. L’Université de Paris I Sorbonne a établi et signé un accord de co-tutelle ou doctorat conjoint avec la Bergische Université Wuppertal.

   Le choix de Wuppertal s’explique par le fait que cette université a une très bonne réputation en Allemagne et à l’étranger pour les études e recherches Husserliennes notamment par la présence du Professeur Klaus Held, un des plus grand spécialistes de Husserl dans le monde. Ce sera plus tard lui à diriger ma thèse de doctorat en Allemagne, tandis qu'en France je continuais à travailler sous la direction de Mme Dastur et M. Colette. Pourquoi le choix de Husserl? Parce que ce philosophe, fondateur de la phénoménologie, a influencé énormément la pensée philosophique contemporaine, non seulement en France et en Allemagne, mais dans le monde entier. L’intérêt de ce travail réside en ceci que la rigueur de la pensée allemande s’articule avec la créativité et le dynamisme de la pensée française. Les grands noms en France cités plus haut en sont la preuve.

   La préparation du doctorat conjoint m’a conduit en Allemagne pour un séjour de plusieurs années (Munich, Wuppertal), tout en gardant les contacts avec mes professeurs français pour une direction effective du travail. Achevée la rédaction du travail en allemand et en français, je me suis mis à la préparation des examens selon le système universitaire allemand et en plus la soutenance française en même temps. Tout s’est très bien passé en deux langues devant un jury franco-allemand composé par quatre membres dont deux français et deux allemands.

   C’était à cette époque là que le Timor traversait les moments les plus durs et douloureux de son histoire, suite à la victoire du referendum en août 1999 en faveur de l’indépendance. Les images de la violence inhumaine de ce septembre noir, perpétrée par les soldats indonésiens et ses milices avant de se retirer de Timor et de mettre fin à l’occupation, circulaient en télévision tous les jours jusqu’à l’arrivée  des Forces des Nations Unies. C’était dans ces conditions extrêmement difficiles, que j’ai dû préparer les examens et la soutenance de la thèse. Mais Dieu merci, les résultats ont été excellents.

   Un nouveau départ pour un autre pays s’annonçait pour moi : les Etats Unis (Boston, New York).  Un séjour d’un an et demi consacré aux recherches et à l’achèvement de la dernière phase de la formation jésuite, le « troisième an », en vue des derniers vœux dans la Compagnie de Jésus.

   Ensuite c’est Rome qui m’attendait à l’Université Grégorienne. J’y ai été nommé professeur d’Épistémologie à Faculté de Philosophie. Les années d’enseignement et de recherches à la Grégorienne m’ont permis de connaître des étudiants du monde entier.  J’ai eu de jeunes étudiants français en Philosophie, les cours étant évidement en italien. La qualité spéculative de ces jeunes français m’a beaucoup impressionné. La collaboration avec la Faculté de Théologie de Naples m’a donné accès à la culture italienne, au moins du sud d’Italie et m’a permis de connaître les étudiants italiens et le milieu intellectuel italien. Mes recherches se poursuivaient dans le domaine de la philosophie transcendantale, de la phénoménologie et de la théologie. Plusieurs ouvrages en italien que j’ai écrit sont parus, à coté du livre publié précédemment en allemand. Tout au long de mes recherches et de l’enseignement j’ai gardé les contacts avec la France et l’Allemagne par le biais des colloques, conférences, publications et emploi du matériel de travail en bibliothèque.

   Il est arrivé le moment de donner également ma contribution à Timor, à part les travaux et conférences que j’y tenais chaque année pendant les mois d’été. À la demande du Recteur de l’Universidade Nacional Timor Lorosae (UNTL) à Dili, Dr. Aurélio Guterres, adressée à la Compagnie de Jésus, j’entreprends l’ouverture d’une Faculté de Philosophie au sein de l’Université en 2011. La Faculté compte avec deux cycles d’études : le premier cycle de licence de la durée de 4 ans et le deuxième cycle de maîtrise qui dure 2 ans.

   Actuellement la Faculté offre un an d’études de la langue portugaise pour préparer les étudiants aux cours de Philosophie qui seront tenus en portugais, la langue officielle du pays. Tout le monde à Timor ressent la nécessité de former des cadres munis d’une capacité logique de réflexion, d’analyse, de synthèse et d’ouverture intelligente e critique aux problèmes de la société dans monde contemporain toujours en voie de globalisation. C’est dans ce cadre que s’inscrit la vision, la mission et l’objectif de la Faculté de Philosophie à Timor qui veut répondre à cet enjeu. 

   Dans ce sens, j’ai pris contact avec des établissements supérieurs universitaires en France et au Portugal pour la possibilité d’un projet de collaboration avec la Faculté de Philosophie à Timor, née récemment. Je suis venu à Paris pour des conférences et aussi pour établir ces contacts. J’ai eu la joie de rencontrer l’Association France-Timor par le biais de Carlos et Christine Semedo. J’ai soumis à la représentation de l’Ambassade de France à Timor la demande d’aide en quelques livres de Paul Ricœur en français.

   Je tiens à remercier vivement les amis français, la France qui m’a accueilli pendant mes séjours d’études à Paris, pour l’amitié, le soutien et l’immanquable solidarité avec le Peuple de Timor Est. Merci beaucoup.
João Inocêncio Piedade, S.J."
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publié par Association France Timor Leste @ 15:38,

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