Quelques mots à propos d’Alain Gerbault, un navigateur Français mort au Timor en 1941
Publié le 2008/01/24
Nous avons le plaisir de partager avec les lecteurs du blog "France-Timor Leste" un texte de Aymerick Davière, auquel devraient venir se rajouter quelques photos qu'il nous fera parvenir.
Laval, janvier 2008
La mémoire d’Alain Gerbault est bien passée depuis l’année 1923 et ses exploits maritimes. Cette année-là en effet le jeune homme de 30 ans (né en 1893 à Laval) avait marqué l’histoire en étant le premier homme à réussir, en solitaire, une traversée de l’Atlantique. A bord d’un cotre de 12 mètres, le Firecrest, le marin échappa plusieurs fois à la mort durant les 101 jours d’une traversée qui rétrospectivement parait quasi improvisée. L’exploit lui apporta outre-atlantique et en France, une gloire recherchée qui finit cependant par indisposer l’homme.
Aviateur pendant la guerre puis tennisman de niveau international, le jeune dandy des années folles qui fréquentait Deauville et la Côte d’Azur, Alain Gerbault plongea peu à peu dans la misanthropie, au moins un appel tenace à la solitude et à une vie moins superficiel : «Il n’y a pas de plus grand crime contre l’homme que de lui créer des besoins superflus » écrira-t-il quelques années plus tard.
En septembre 1932, n’avertissant que quelques amis, Alain Gerbault quitte le port de Marseille. Se doute-t-il quant il passe le détroit de Gibraltar qu’il ne reverra jamais l’Europe ? Rejoignant le Cap Vert, il atteint les Antilles et franchit une nouvelle fois le canal de Panama. D’où il met le cap vers les archipels du Pacifique sud, séjournant dans les différentes îles au gré des rencontres.
Commence alors la fuite finale qui le mènera en quelque mois à Dili et à la mort.
Libéré le 4 septembre 1940, il erre à la recherche de territoire épargné par la guerre. Il touche les Samoa, les Tonga puis la Nouvelle Guinée où il est placé sous surveillance par l’armée australienne. Jugé inoffensif il est autorisé à repartir de Port Moresby. Mais épuisé physiquement et moralement, il décide de faire escale au Timor, à ce moment (Aout 1941) encore sous administration portugaise et territoire neutre. A Dili, il apprend que le Japon vient d’envahir l’Indochine, qu’il voulait rallier. Madagascar qui lui avait un temps paru une alternative possible lui parait trop loin. Il hésite. Attend. Ne sait plus quoi faire ni où aller. D’autant qu’il est semble-t–il bien accueilli par la petite communauté portugaise de l’île :« Tout le monde le traitait bien, d'autant qu'il était famélique et sans ressources. Quelques fois il dînait avec des familles portugaises, d'autres fois il emportait son dîner à bord.» expliquait le gouverneur de Timor quelques mois après la mort de Gerbault. En décembre 1941, on s’inquiète de ne pas l’avoir aperçu depuis plusieurs jours. Le docteur Carvalho est dépêché sur le bateau échoué sur les massifs coralliens dans la baie de Dili. Alain Gerbault ne répond pas. Le spectacle que le médecin découvre est effroyable. Atteint par la malaria et d'un délabrement physique généralisé le navigateur est inconscient sur sa couchette. Ramené à terre, il décèdera quelques jours plus tard dans l’hôpital portugais (toujours en service) de Lahane sur la route de Dare.
Quand le calme fut revenu, Ferreira da Costa rechercha cette tombe. Il la retrouva, enfouie sous les herbes, et il fit exécuter, par le charpentier de son bateau, l'Angola, une grande croix peinte en gris portant le nom d'Alain Gerbault, en lettres noires. Plantée au cours d'une cérémonie simple, en présence de nombreux officiers du corps expéditionnaire, cette nouvelle croix portait l’épitaphe qu’il avait composé lui même :
« Amis, ne plaignez pas le marin disparu...
Heureux, il dort où il voulait vivre.
Amis, ne plaignez pas le marin disparu,
Mais priez que les vagues le bercent doucement. »
Car la disparition de l'Alain Gerbault reste bien mystérieuse. Les quelques témoignages qu'on a pu recueillir à son sujet sont contradictoires. L'agence Reuter dit que le bateau a été détruit par une bombe lors du débarquement allié. M. Ferreira da Cofita, le journaliste portugais, écrit, pour sa part : "Son bateau, où il avait tant de livres précieux et le manuscrit d'un ouvrage sur les généalogies polynésiennes, fut mis sous scellés. Mais les Hollandais et d'autres étrangers y pénètrent et emportèrent divers objets. Plus tard, les Japonais, ayant envahi Timor, achevèrent le pillage du yacht. Un matin, le yacht lui-même disparut, et le bruit courut qu'un Chinois l'avait conduit, sur l'ordre des Japonais, dans l'archipel de la Sonde. Peut-être existe-t-il encore, mais on ne l'a jamais revu. »
L'infirmier en chef portugais qui soigna Gerbault donne une autre version des faits : « Les autorités portugaises ont essayé de garder son bateau et ses biens. Mais pendant une période assez brève, les Japs ont tout pris et, jusqu'à présent, on ignore sa destinée. D'après le rapport des Chinois qui se sont mêlés ici aux Japonais, le bateau, une fois saccagé, a été utilisé comme transport de denrées alimentaires le long de la côte. Un jour, en allant vers une île voisine, il a fait naufrage. » De tout cela, on peut penser que le beau navire a eu une fin aussi tragique que son patron.
Appendice :
En 1960, Joao Ferreiro dos Santos, jeune militaire en poste à Dili pendant la seconde guerre entre en contact avec la seule survivante du « clan » Gerbault à Laval, la cousine Elisabeth, celle-là même à qui Alain écrivait ses exploits aériens pendant la guerre de 14.
Dans un français correct, le militaire s’adresse en termes assez flous sur la destinée du bateau mais dit être en possession de renseignements permettant de le retrouver, renseignements qu’il ne «révélera qu’en personne». Il n’est pas exclu que le fonctionnaire ait simplement tenté par ce moyen d’obtenir une autorisation de voyage à l’étranger pour fuir la dictature de Salazar. Quoiqu’il en soit la septuagénaire ne semble pas donner suite à ce courrier qui reste quelques années sans suite. Quelques années plus tard elle en fait quand même part à Antoine Droicourt, venu l’interroger sur ses relations avec son cousin navigateur.
C’était en 1969, Antoine Droicourt, un jeune hippie ayant grandi à Daon, enquêtait sur la fin du marin. Il est assez inutile d’en parler puisqu’il n’a rien apporté de nouveau au dossier. Pourtant son histoire mérite bien quelques lignes.
De retour du Timor j’ai enfin osé aller voir la mère d’Antoine Droicourt, née Kiezilowski en 1920 d’une famille polonaise ayant travaillé dans les mines de lorraine et arrivée dans l’ouest pendant la guerre en 1916. L’intégration fut difficile dans ce village de Mayenne, mais elle trouva quand même à se marier à un paysan et vit toujours, seule, à 87 ans dans une ferme à quatre kilomètre du bourg. Le français est imprécis et entaché d’expressions polonaises, mais la vieille dame est alerte, bavarde et ne rechigne pas du tout à parler de son fils disparu, ni à me montrer ses lettres. Une tous les 8 à dix jours, elles permettent de tracer l’itinéraire du jeune aventurier.
En 1970, quand Katmandou et l’Inde sont les lieux que courent les jeunes Beat Neak, le jeune mayennais rejoint plutôt l’Indonésie, pas apeuré par la dictature qu’est en train de mettre en place général Soeharto. Il traverse Sumatra, Java, s’attarde à Bali, mais n’a qu’un but, un but qui l’effraie davantage à mesure qu’il s’en rapproche: le Timor. A sa mère, il écrit sa crainte d’atteindre l’ïlôt portugais, qu’un guide indonésien lui dit pauvre et aride. Voyageant uniquement par bateau, il visite Lombok, Sumba, Florès. C’est de Larantuqua, qui fut le premier comptoir portugais avant qu’ils n’en soient délogés par les Hollandais au 17ième siècle, qu’Antoine rejoint le Timor.
Il n’est pas le seul des voyageurs, depuis Wallace, à déplorer le faible développement et l’ennui qui semble régner dans la colonie portugaise. L’administration quoiqu’«aimable» a complètement changé depuis la guerre, et les archives ont toutes disparues. Grâce à un professeur du lycée portugais dont il ne mentionne pas le nom il cherche à entrer en contact avec des anciens autochtones de Dili et des différents villages côtiers pour savoir si d’aucun aurait, ne serait-ce qu’aperçu un bateau dont il montre une photo noir et blanc. Photo du jour du lancement du navire et qui devait de toute façon être peu ressemblante à ce qu’il aurait été après 10 ans de mer et au moins un échouage.
Les recherches sont infructueuses, mais sont l’occasion pour les deux jeunes hommes de visiter le Timor. Ils rejoignent Lautem et tentent d’aller jusqu’à Tutuala, mais renoncent. A Los Palos, le retour par la côte sud semble trop périlleux à entreprendre (Janvier 72. Les pluies sont abondantes). Finalement ils se séparent à Baucau, le «professor» comme il l’appelle se chargeant de poster le courrier que le fils fidèle envoie, sous forme de journal, à sa mère.
C’est là que l’on perd sa trace. La lettre suivante est deux mois plus tard et de Bali. Il ne fait mention d’aucun événement qui aurait pu expliquer cette interruption. Le courrier s’est il tout simplement perdu ? Quoiqu’il en soit, il dit être pressé de rentrer au pays et penser reprendre des études. Médecine, «mais à 24 ans, il est peut-être trop tard.»
«Le 12 octobre 72, un Jeudi» Sans hésiter la vieille dame se rappelle de la date, et aussi de la maigreur de son fils qui avait, avant de partir, davantage l’apparence d’un rugbyman. Il travaille à la ferme puis dans une cartonnerie à Angers. Il n’a vent qu’en juin 76 de l’invasion indonésienne et tente de mobiliser quelques marxistes locaux sur le sort de cette rébellion «de paysans autodéterminés » écrasée selon la rhétorique de l’époque par « une dictature réactionnaire, armée par le fascisme des intérêts du congrès américain».
Le dernier document que me montre la vieille femme est la dernière trace de son existence. Un bout de papier, qu’il laisse un dimanche matin sur la table de la cuisine : «il faut que je retourne à Queliquaï».
Plus personne n’a jamais entendu parler de lui dans la région.
Paru au éditions Dom quixote, http://www.livrariacamoes.ch/html/livros.php?accao=view&id=3451
Biographie sommaire sur http://pt.wikipedia.org/wiki/Luís_Cardoso_de_Noronha
Citation de mémoire de, il me semble, « à la poursuite du Soleil » 1929.
Conservé aux archives départementales de la Mayenne ainsi que toutes les lettres qu’elle reçut de son cousin.
publié par Association France Timor Leste @ 13:55,