Quelques mots à propos d’Alain Gerbault, un navigateur Français mort au Timor en 1941

Nous avons le plaisir de partager avec les lecteurs du blog "France-Timor Leste" un texte de Aymerick Davière, auquel devraient venir se rajouter quelques photos qu'il nous fera parvenir.

Laval, janvier 2008


"Requiem para um Navegador Solitario" Le dernier roman de l’écrivain Timorais Luis Cardoso paru en 2007, est une fable sur fond historique qui met en scène une certaine Catharina, personnage fictif, partie en quête, à la fin des années trente, d’un personnages bien réel : Alain Gerbault. Leur rencontre se fera dans le port de Dili où le navigateur en déserrance arriva en août 1941, et où il devait trouver la mort six mois plus tard.

La mémoire d’Alain Gerbault est bien passée depuis l’année 1923 et ses exploits maritimes. Cette année-là en effet le jeune homme de 30 ans (né en 1893 à Laval) avait marqué l’histoire en étant le premier homme à réussir, en solitaire, une traversée de l’Atlantique. A bord d’un cotre de 12 mètres, le Firecrest, le marin échappa plusieurs fois à la mort durant les 101 jours d’une traversée qui rétrospectivement parait quasi improvisée. L’exploit lui apporta outre-atlantique et en France, une gloire recherchée qui finit cependant par indisposer l’homme.

Aviateur pendant la guerre puis tennisman de niveau international, le jeune dandy des années folles qui fréquentait Deauville et la Côte d’Azur, Alain Gerbault plongea peu à peu dans la misanthropie, au moins un appel tenace à la solitude et à une vie moins superficiel : «Il n’y a pas de plus grand crime contre l’homme que de lui créer des besoins superflus » écrira-t-il quelques années plus tard.


Immanquablement il devait reprendre la route. De New York, où il a fait réparer son bateau, il rejoint Panama. L’exploit n’était cette fois-ci pas son but. Il voulait voir les îles où finirent Stevenson, où déserta Melville, où repose Gauguin. Samoa, Tonga, Marquises. De 1924 à 1929 il voyagea d’îles en îles voguant entre enthousiasme et déception. A son retour en France les honneurs l’attendent. Salué comme le troisième homme (et premier français) à réaliser un tour du monde en solitaire, il reçoit sans un sourire la légion d’honneur au Havre, est invité dans des dîners mondains, mais il comprend vite qu’il n’a plus rien à voir avec ce monde qui plonge dans la crise de l’entre-deux-guerres. « Firecrest », le nom de son bateau, est approprié par une marque de savon, son éditeur en organise des visites sur les quais de la Seine. Il ne rencontre chez ses amis même qu’incompréhension et dérision. Il finit par s’impatienter de la construction de son nouveau navire, qu’il baptisa du «seul nom qu’on ne pouvait lui voler», le sien propre, Alain Gerbault.

En septembre 1932, n’avertissant que quelques amis, Alain Gerbault quitte le port de Marseille. Se doute-t-il quant il passe le détroit de Gibraltar qu’il ne reverra jamais l’Europe ? Rejoignant le Cap Vert, il atteint les Antilles et franchit une nouvelle fois le canal de Panama. D’où il met le cap vers les archipels du Pacifique sud, séjournant dans les différentes îles au gré des rencontres.

La colonisation européenne et les maladies qu’elle a apportées ont été sévères pour la population. Ainsi, par exemple la population des Marquises, estimée avoir atteint les cent milles habitants, n’est plus que de quelques milliers d’âmes. Gerbault s’insurge. Son «insurrection » contre la colonisation est d’abord symbolique : il se promène vêtu du paréo que l’administration coloniale avait interdit aux indigènes. Il s'efforce à chacune de ses escales à faire revivre les traditions locales, les chants et les danses interdits par l'Église et l'administration. Il s'efforce de créer une émulation sportive et introduit le football pour lutter contre l’alcoolisme qui ravage une population exploitée dans des plantations de palmiers à huile. Il mène par ailleurs d'importantes recherches linguistiques et ethnologiques pour préserver des cultures que les colons jugent primitives et vouées à la disparition. Durant toutes ses années, il côtoie une figure emblématique de la vie de Tahiti, la reine Marau, dont il étudie la généalogie.


Alain Gerbault, qui mena durant ses années une vie de liberté et de voyage, devait pourtant, même à l’autre bout du monde, être rattrapé par son époque : lorsque la guerre éclate, de Bora-Bora où il était le plus souvent ancré, il est un des rares de la colonie à prôner le rattachement au Maréchal Pétain. La défaite au référendum est écrasante. Il est emprisonné, puis l’administration ralliée à De Gaulle se résout à le relâcher sous prétexte qu’il quitte le territoire.

Commence alors la fuite finale qui le mènera en quelque mois à Dili et à la mort.

Libéré le 4 septembre 1940, il erre à la recherche de territoire épargné par la guerre. Il touche les Samoa, les Tonga puis la Nouvelle Guinée où il est placé sous surveillance par l’armée australienne. Jugé inoffensif il est autorisé à repartir de Port Moresby. Mais épuisé physiquement et moralement, il décide de faire escale au Timor, à ce moment (Aout 1941) encore sous administration portugaise et territoire neutre. A Dili, il apprend que le Japon vient d’envahir l’Indochine, qu’il voulait rallier. Madagascar qui lui avait un temps paru une alternative possible lui parait trop loin. Il hésite. Attend. Ne sait plus quoi faire ni où aller. D’autant qu’il est semble-t–il bien accueilli par la petite communauté portugaise de l’île :« Tout le monde le traitait bien, d'autant qu'il était famélique et sans ressources. Quelques fois il dînait avec des familles portugaises, d'autres fois il emportait son dîner à bord.» expliquait le gouverneur de Timor quelques mois après la mort de Gerbault. En décembre 1941, on s’inquiète de ne pas l’avoir aperçu depuis plusieurs jours. Le docteur Carvalho est dépêché sur le bateau échoué sur les massifs coralliens dans la baie de Dili. Alain Gerbault ne répond pas. Le spectacle que le médecin découvre est effroyable. Atteint par la malaria et d'un délabrement physique généralisé le navigateur est inconscient sur sa couchette. Ramené à terre, il décèdera quelques jours plus tard dans l’hôpital portugais (toujours en service) de Lahane sur la route de Dare.

Il est inhumé le 16 décembre, le jour même du parachutage des forces australiennes, et est inhumé dans la confusion générale au cimetière de Santa Cruz.

Quand le calme fut revenu, Ferreira da Costa rechercha cette tombe. Il la retrouva, enfouie sous les herbes, et il fit exécuter, par le charpentier de son bateau, l'Angola, une grande croix peinte en gris portant le nom d'Alain Gerbault, en lettres noires. Plantée au cours d'une cérémonie simple, en présence de nombreux officiers du corps expéditionnaire, cette nouvelle croix portait l’épitaphe qu’il avait composé lui même :

« Amis, ne plaignez pas le marin disparu...

Heureux, il dort où il voulait vivre.

Amis, ne plaignez pas le marin disparu,

Mais priez que les vagues le bercent doucement. »

En 1947, ses cendres sont transférées par la Marine Nationale à Bora-Bora où il repose depuis lors.



Et son voilier


Si dans la tourmente de la guerre, la mort de celui qui fut, dix années auparavant, un héros national, passa inaperçue, son navire quant à lui, disparaissait sans laisser de trace.

Car la disparition de l'Alain Gerbault reste bien mystérieuse. Les quelques témoignages qu'on a pu recueillir à son sujet sont contradictoires. L'agence Reuter dit que le bateau a été détruit par une bombe lors du débarquement allié. M. Ferreira da Cofita, le journaliste portugais, écrit, pour sa part : "Son bateau, où il avait tant de livres précieux et le manuscrit d'un ouvrage sur les généalogies polynésiennes, fut mis sous scellés. Mais les Hollandais et d'autres étrangers y pénètrent et emportèrent divers objets. Plus tard, les Japonais, ayant envahi Timor, achevèrent le pillage du yacht. Un matin, le yacht lui-même disparut, et le bruit courut qu'un Chinois l'avait conduit, sur l'ordre des Japonais, dans l'archipel de la Sonde. Peut-être existe-t-il encore, mais on ne l'a jamais revu. »

L'infirmier en chef portugais qui soigna Gerbault donne une autre version des faits : « Les autorités portugaises ont essayé de garder son bateau et ses biens. Mais pendant une période assez brève, les Japs ont tout pris et, jusqu'à présent, on ignore sa destinée. D'après le rapport des Chinois qui se sont mêlés ici aux Japonais, le bateau, une fois saccagé, a été utilisé comme transport de denrées alimentaires le long de la côte. Un jour, en allant vers une île voisine, il a fait naufrage. » De tout cela, on peut penser que le beau navire a eu une fin aussi tragique que son patron.

Appendice :

J’ai pour ma part depuis mon retour du Timor, il y 6 mois, mené quelques recherches personnelles.

En 1960, Joao Ferreiro dos Santos, jeune militaire en poste à Dili pendant la seconde guerre entre en contact avec la seule survivante du « clan » Gerbault à Laval, la cousine Elisabeth, celle-là même à qui Alain écrivait ses exploits aériens pendant la guerre de 14.

Dans un français correct, le militaire s’adresse en termes assez flous sur la destinée du bateau mais dit être en possession de renseignements permettant de le retrouver, renseignements qu’il ne «révélera qu’en personne». Il n’est pas exclu que le fonctionnaire ait simplement tenté par ce moyen d’obtenir une autorisation de voyage à l’étranger pour fuir la dictature de Salazar. Quoiqu’il en soit la septuagénaire ne semble pas donner suite à ce courrier qui reste quelques années sans suite. Quelques années plus tard elle en fait quand même part à Antoine Droicourt, venu l’interroger sur ses relations avec son cousin navigateur.

C’était en 1969, Antoine Droicourt, un jeune hippie ayant grandi à Daon, enquêtait sur la fin du marin. Il est assez inutile d’en parler puisqu’il n’a rien apporté de nouveau au dossier. Pourtant son histoire mérite bien quelques lignes.

Quasiment personne par chez nous ne connaît son aventure qui pourtant dans ma mémoire est quasiment indéfectible de celle d’Alain Gerbault. Il faut dire que mon père qui le connaissait du collège, semble avoir été impressionné par son histoire, et ne manquait jamais quand on passait devant le bateau de Gerbault à la Perrine d’en faire mention.

De retour du Timor j’ai enfin osé aller voir la mère d’Antoine Droicourt, née Kiezilowski en 1920 d’une famille polonaise ayant travaillé dans les mines de lorraine et arrivée dans l’ouest pendant la guerre en 1916. L’intégration fut difficile dans ce village de Mayenne, mais elle trouva quand même à se marier à un paysan et vit toujours, seule, à 87 ans dans une ferme à quatre kilomètre du bourg. Le français est imprécis et entaché d’expressions polonaises, mais la vieille dame est alerte, bavarde et ne rechigne pas du tout à parler de son fils disparu, ni à me montrer ses lettres. Une tous les 8 à dix jours, elles permettent de tracer l’itinéraire du jeune aventurier.

En 1970, quand Katmandou et l’Inde sont les lieux que courent les jeunes Beat Neak, le jeune mayennais rejoint plutôt l’Indonésie, pas apeuré par la dictature qu’est en train de mettre en place général Soeharto. Il traverse Sumatra, Java, s’attarde à Bali, mais n’a qu’un but, un but qui l’effraie davantage à mesure qu’il s’en rapproche: le Timor. A sa mère, il écrit sa crainte d’atteindre l’ïlôt portugais, qu’un guide indonésien lui dit pauvre et aride. Voyageant uniquement par bateau, il visite Lombok, Sumba, Florès. C’est de Larantuqua, qui fut le premier comptoir portugais avant qu’ils n’en soient délogés par les Hollandais au 17ième siècle, qu’Antoine rejoint le Timor.

Il n’est pas le seul des voyageurs, depuis Wallace, à déplorer le faible développement et l’ennui qui semble régner dans la colonie portugaise. L’administration quoiqu’«aimable» a complètement changé depuis la guerre, et les archives ont toutes disparues. Grâce à un professeur du lycée portugais dont il ne mentionne pas le nom il cherche à entrer en contact avec des anciens autochtones de Dili et des différents villages côtiers pour savoir si d’aucun aurait, ne serait-ce qu’aperçu un bateau dont il montre une photo noir et blanc. Photo du jour du lancement du navire et qui devait de toute façon être peu ressemblante à ce qu’il aurait été après 10 ans de mer et au moins un échouage.

Les recherches sont infructueuses, mais sont l’occasion pour les deux jeunes hommes de visiter le Timor. Ils rejoignent Lautem et tentent d’aller jusqu’à Tutuala, mais renoncent. A Los Palos, le retour par la côte sud semble trop périlleux à entreprendre (Janvier 72. Les pluies sont abondantes). Finalement ils se séparent à Baucau, le «professor» comme il l’appelle se chargeant de poster le courrier que le fils fidèle envoie, sous forme de journal, à sa mère.

C’est là que l’on perd sa trace. La lettre suivante est deux mois plus tard et de Bali. Il ne fait mention d’aucun événement qui aurait pu expliquer cette interruption. Le courrier s’est il tout simplement perdu ? Quoiqu’il en soit, il dit être pressé de rentrer au pays et penser reprendre des études. Médecine, «mais à 24 ans, il est peut-être trop tard.»

«Le 12 octobre 72, un Jeudi» Sans hésiter la vieille dame se rappelle de la date, et aussi de la maigreur de son fils qui avait, avant de partir, davantage l’apparence d’un rugbyman. Il travaille à la ferme puis dans une cartonnerie à Angers. Il n’a vent qu’en juin 76 de l’invasion indonésienne et tente de mobiliser quelques marxistes locaux sur le sort de cette rébellion «de paysans autodéterminés » écrasée selon la rhétorique de l’époque par « une dictature réactionnaire, armée par le fascisme des intérêts du congrès américain».

Le dernier document que me montre la vieille femme est la dernière trace de son existence. Un bout de papier, qu’il laisse un dimanche matin sur la table de la cuisine : «il faut que je retourne à Queliquaï».

Plus personne n’a jamais entendu parler de lui dans la région.

Avis aux voyageurs à venir, s'il en est qui veulent aller enquêter dans ce village des pentes ouest du Matebian sur le sort d’un blanc qui y serait passé en 72…

Paru au éditions Dom quixote, http://www.livrariacamoes.ch/html/livros.php?accao=view&id=3451

Biographie sommaire sur http://pt.wikipedia.org/wiki/Luís_Cardoso_de_Noronha

Citation de mémoire de, il me semble, « à la poursuite du Soleil » 1929.

http://www.tahiti-pacifique.com/Articles.divers/Alain-gerbault.html

Conservé aux archives départementales de la Mayenne ainsi que toutes les lettres qu’elle reçut de son cousin.

publié par Association France Timor Leste @ 13:55,

1 Comments:

At 2:57 PM, Blogger delphine said...

bien inspiré monsieur cyprien sechet....

la polonaise loin du bourg...

 

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